Par Anonyme
Ma femme et moi avons accueilli notre fils en vue de son adoption en juillet 2006. Il avait 16 mois et avait un pronostic d’une maladie assez rare. Trois mois plus tard, nous apprenions que l’enfant avait « seulement » des séquelles de négligence sévère. Il avait passé neuf mois auprès de sa mère qui n’avait pas la capacité de s’en occuper et un père aux prises avec de graves problèmes de consommation et de violence. Les sept mois suivants ont été pour lui comme le ciel lorsque pris en charge par une famille d’accueil « de luxe ».
Son placement chez nous fut donc un traumatisme de plus. Personne n’en était conscient à ce moment. Tout le monde croyait qu’il s’adapterait. Il ne manifestait aucune émotion bien qu’il nous frappait et nous pinçait souvent. Son développement a été particulièrement suivi par des spécialistes pour l’aider à rattraper ses retards de développement. Ses comportements étaient souvent impulsifs pouvant aller jusqu’à la violence. Ses diagnostics : TDAH, trouble de la parole, trouble d’attachement d’abord insécure qui s’est muté à l’âge de 11 ans en un trouble sévère. C’est d’ailleurs à partir de son onzième anniversaire qu’il a commencé à se comporter de manière encore plus étrange, ajoutant le pica et l’automutilation à ses habitudes quotidiennes.
La protection de la jeunesse est entrée dans notre vie à la suite de signalements de la part de personnes de bonne volonté. Bien sûr, notre enfant allait mal, mais nous avions la conviction d’avoir fait tout ce qu’il fallait pour l’aider à se développer. Placé en centre jeunesse, nous avons tenté à trois reprises de le reprendre à la maison en suivant la progression et les conseils des éducateurs, mais chaque fois il sabotait ses succès et repartait accompagné par les policiers.
Aujourd’hui, il a près de 16 ans. Il alterne entre une unité de traitement individualisé et une unité de garde fermée. Il doit souvent passer devant la justice pour des voies de fait et des menaces de mort. Lors de sa dernière fugue, il est venu chez nous pour y pénétrer par effraction et causer des dégâts.
Cette semaine, j’assistais à sa révision des mesures de protection. Il demeurera au centre de réadaptation au moins pour la prochaine année, probablement jusqu’à ses 18 ans. Avant sa dernière infraction, il nous demandait encore si nous allions le reprendre « après le centre ». Que répondre à son enfant que nous avions toujours désiré et accompagné quand il est devenu si imprévisible?
Durant cette réunion, alors que nous n’avions eu aucun contact avec lui depuis son intrusion à notre domicile, il est monté en moi un sentiment de tristesse irrépressible. Entendre tous ces rapports de l’un et l’autre intervenant dans sa vie, découvrir des choses sur son enfant qu’on reconnaît de moins en moins, le mot qui décrivait le mieux ce que je sentais était « désappropriation ». Je l’ai exprimé ainsi au groupe à mon tour de parole. La réviseure a voulu reformuler en proposant « désengagement ». Je l’ai reprise vivement : je ne me suis jamais désengagé de la vie de mon fils. Mais ce qu’il en fait et le système de protection mis en place autour de lui ont fini par me dépouiller de mon rôle, de ma place, de l’affection et du soutien que je devrais lui manifester chaque jour, tout comme je le fais pour son grand frère trisomique que je continue d’aller border tous les soirs.
Toutes ces années à chercher à garder un lien significatif avec lui par-delà toutes les mesures et les intervenants ont fini par m’user. Nous habitons à un km du centre jeunesse. Nous passons devant l’édifice parfois plusieurs fois par jour. Ce bâtiment est devenu pour moi le symbole de la perte de mon identité de père, même si le système me jure le contraire…
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