Par Layla Beswarick
La permanence. Cette notion peut être définie comme « l’état ou la qualité de durer ou de rester inchangé indéfiniment ». L’ironie derrière cette idée ne passe pas inaperçue à la plupart des jeunes adoptés, et j’étais du lot. Ça devait être une blague parce que seuls les enfants « normaux » y avaient droit. Un enfant normal a le droit d’avoir une famille qui l’aime, un foyer, de la nourriture et surtout de la stabilité. La plupart des jeunes dans le système ne conçoivent même plus l’importance de la permanence après avoir déménagé tant de fois. Je n’en ai pas vu l’importance pendant longtemps, jusqu’à mon troisième et dernier foyer en fait.
Plus jeune, je pensais que ma famille biologique serait toujours là, mais leurs propres dépendances ont pris le dessus et la mort est devenue le fléau de toutes les personnes que j’avais connues en grandissant. Mon foyer d’accueil était un foyer que j’admirais, il y régnait un amour que ma famille biologique avait depuis longtemps oublié. Ils m’ont ouvert les yeux et m’ont donné des occasions de faire des choses jusque-là inédites pour moi. Mais, ils n’étaient pas destinés à être ma famille pour toujours, car même s’ils nous aimaient, ils avaient déjà une vie bien à eux. Je suis finalement entrée dans mon foyer adoptif et mes parents m’ont offert la diversité : la chose qui m’a le plus manqué dans toute ma vie. Je ne parle pas de diversité en termes de couleur de peau, bien que ce soit un aspect de la question. Je veux dire la diversité des opinions et des perspectives, des lieux et des styles de vie. C’est le fait d’avoir déménagé 14 fois au cours de mes 17 années de vie et d’avoir eu trois familles, toutes si différentes les unes des autres, qui a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui. Ces foyers m’ont appris que la permanence ne vient pas du nombre d’endroits d’où on a déménagé ou du nombre de familles avec lesquelles on a vécu, mais bien du nombre de familles que l’on appelle les nôtres et du nombre d’endroits que l’on a appris à connaître comme étant notre foyer. Ce sont ces choses qui permettent à un enfant comme moi de rester ancré dans un monde en perpétuel changement.
Ma famille biologique nous aimait, mon frère, ma sœur et moi. Plus que tout au monde. Même si je ne m’en souviens pas, je peux honnêtement dire que les cinq premières années de ma vie ont été les meilleures et ont posé les bases de ma personnalité actuelle. Ma mère est tombée enceinte à 17 ans et m’a eu à 18 ans. Elle a même abandonné l’école pendant un moment pour m’élever et m’aimer. Je n’étais pas non plus une enfant facile, je causais toujours des problèmes et j’adorais ça. Mon père allait au travail et n’avait d’yeux que pour ma mère. Leur amour mutuel en est un que j’aspire à connaître quand je serai plus grande. En grandissant, ma sœur et mon frère sont entrés dans ma vie et j’avais l’impression d’avoir tout ce que je voulais. J’avais mes cousins et ma sœur toujours à mes côtés. (Nous avions tous à peu près le même âge). Nous jouions et jouions jusqu’à ce que le soleil se couche et que le dîner soit sur la table. Je n’oublierai jamais ces moments chaleureux et sereins. J’avais 7 ans lorsque toute ma famille s’est effondrée. Pendant les années qui ont suivi la mort de ma mère, mon père nous regardait à peine. Puis, quand j’avais 8 ans, ma grand-mère a reçu un diagnostic de cancer et j’avais 9 ans quand elle nous a quittés elle aussi. Après son décès, nous avons réalisé, ma fratrie et moi, que nous étions seuls au monde. À l’école, nous étions persécutés parce que nous sentions la cigarette et que nos vêtements étaient vieux. Il nous arrivait de rester une semaine ou deux sans nourriture à la maison. Nous manquions souvent l’école et la SAE (Société d’aide à l’enfance) a été appelée 8 fois. Finalement, ce que mon oncle nous faisait subir a été découvert et nous avons déménagé dans un refuge. Le refuge a été l’une des meilleures choses qui nous soient arrivées depuis longtemps : nous avions de la nourriture, des vêtements « neufs », du shampoing, de l’eau chaude. Au refuge, ils nous ont même donné des billets d’autobus pour nous éviter de devoir marcher dans la neige. Ils ont même fait en sorte que nous puissions aller et venir de l’école en autobus tous les jours. Ce nouvel arrangement a duré quelques mois et ils ont rapidement découvert les habitudes de consommation d’alcool de mon père.
À l’âge de 12 ans, nous avons emménagé dans une nouvelle famille d’accueil. C’était la nuit et quand nous sommes entrés dans la maison, il y régnait une chaleur rougeâtre qui la rendait accueillante. Ma fratrie et moi sommes restés dans ce foyer pendant un an. Ils nous ont débarrassés de nos poux, nous ont acheté de nouveaux vêtements, nous ont inscrits à notre nouvelle école, ont veillé à ce que nous participions à des activités et nous ont emmenés à l’église tous les dimanches. Sans même s’en rendre compte, ils ont créé une communauté que nous avons rapidement faite nôtre. C’était tout ce que j’avais voulu et souhaité. Cependant, nous ne pouvions pas y demeurer, car nos parents d’accueil avaient deux fils d’à peu près mon âge et des responsabilités en tant qu’adultes et parents qui ne leur permettaient pas de nous garder. Ils ont cependant veillé à ce que notre foyer d’adoption soit une famille qui nous aimerait et nous garderait en sécurité.
À l’âge de 13 ans, j’en avais assez de changer de famille, de changer d’endroit et, pendant quelques années, je ne savais plus qui était quoi pour moi. J’éprouvais de la colère et du ressentiment envers ma famille adoptive, je voulais retrouver ma famille biologique ou ma famille d’accueil, mais je n’étais en fait qu’une enfant en colère à la recherche de réconfort. Nous vivions à Toronto. Toute ma vie, j’avais vécu dans de petites villes ou villages et la vie en ville était bouleversante, en plus de tout le reste. J’étais pour le moins désorientée, mais à travers tout cela, mes parents adoptifs ne m’ont jamais jugée, ils ont toujours gardé leur sang-froid et m’ont fait découvrir de nouveaux aliments, des styles de mode différents, une éducation structurée et, surtout, de nouvelles perspectives sur le monde. On ne vit pas dans un monde unidimensionnel et comprendre cela, c’est se comprendre soi-même.
Pour conclure, pendant les premières années où j’ai découvert qui était vraiment ma famille, je n’ai jamais pris le temps de regarder qui j’étais vraiment : une enfant résiliente, têtue et sauvage. J’étais un amalgame où se fusionnaient étroitement des traits de ma famille biologique, de ma famille d’accueil et de ma famille d’adoption. La permanence, c’est notre définition de nos racines, c’est ce qui nous permet de tenir le coup quand la vie n’est plus qu’une guerre de tranchées. Ce sont les gens qui préservent notre stabilité. Mais plus que cela, la permanence, c’est nos objectifs et nos aspirations (une fois que nous les avons établis), c’est ce que nous voulons pour nos propres enfants et c’est ce que nous voulons offrir au monde. À travers mon propre parcours, c’est ce que j’ai réalisé; les personnes qui m’ont aidé (même si c’était parfois à travers de difficiles souvenirs) seront toujours dans ma vie, peu importe où je vais, peu importe avec qui je vis. Elles vivront en moi à travers mes hauts et mes bas et elles ont posé les bases de la stabilité en moi. Je serai éternellement reconnaissante pour leur présence.
Les opinions exprimées dans les blogues publiés sont celles de leur auteur et ne reflètent pas la position officielle d’Adopt4Life. Nous respectons la diversité d’opinion au sein du milieu de l’adoption et espérons que ces blogues susciteront des échanges constructifs.